Ca y est ! A 17h, nous appareillons pour trois semaines de mission. Le Pourquoi pas ? est amarré aux Acores, dans le port d’Horta, entre Europe et Amérique. Nous l’avons rejoint par avion. Hier, nous avons ainsi profité d’une journée de liberté. Occasion pour nous de nous promener et de découvrir. La ville tient son nom de son fondateur, Jos van Huerter, et non pas, étonnement, comme on pourrait le croire, du bas-latin « Horta », qui signifie « jardin ». Pourtant la nature est ici d’une beauté remarquable. Elle rappelle celle de l’Europe, mais l’on sent déjà qu’on n’y est plus. C’est entre deux mondes. Ou le mélange des deux. Je suis allé nager. En revenant quelque chose de bleu, de translucide, a attiré mon regard. C’était en train de s’échouer sur les rochers. Une physalie. Une cousine des méduses. Je l’aurais effleuré, mon voyage s’arrêtait là. Au mieux une douleur atroce. Au pire un arrêt cardiaque. L’hôpital dans tous les cas. J’ai eu de la chance. La seule piqure dont je serai quitte en sera une de rappel ; la nature n’est pas qu’un jardin.
Revenons à aujourd’hui. Depuis ce matin, grande agitation sur le Pourquoi pas ? Les équipements scientifiques et techniques sont sortis de leurs conteneurs. L’équivalent de trois semi-remorques. On installe les laboratoires, on sort les instruments de mesure, on s’affaire autour du ROV Victor. Le ROV Victor, c’est vraiment très impressionnant. C’est un petit submersible entièrement automatisé, télé-opéré depuis la surface. C’est grâce à lui que toutes les manipulations dans les profondeurs vont être rendues possible.
Peut-être que, pour ouvrir ce journal, il convient de rappeler en quoi consiste la mission MoMARSAT 2017, à laquelle nous participons, et que dirige cet été Pierre-Marie Sarradin. MoMARSAT, c’est la mission de maintenance d’un observatoire installé sur le champ «Lucky Strike», un endroit situé à 1700 m de profondeur, dans l’Océan Atlantique, quelque part entre les Açores et le Nouveau Monde. Ce site est hérissé de sources hydrothermales, sortes de cheminées élancées qui crachent des fluides sulfurés à plus de 350 degrés celsius. Ces endroits sont très peu connus. Les hommes les ont découverts bien après avoir foulé la Lune. Les distances abyssales, leurs conditions d’accès très difficiles, les fortes pressions, l’obscurité totale, tout cela semblait les garder pour jamais de notre curiosité. C’est mal nous connaître. On a découvert que ces sources hydrothermales abritaient des écosystèmes très particuliers. Uniques sur notre planète. D’étranges animaux, vivant d’une étrange chimie, y évoluent. Comment se comportent-ils? Comment résistent-ils ? Ces environnements recèlent également de grandes richesses minérales et énergétiques potentielles. Si jamais l’homme venait à y creuser, pourrait-on préserver les espèces qui vivent à côté ? Comment appréhender les équilibres en jeu en un environnement si mystérieux ? C’est pour nous permettre de répondre à ces questions que nous rejoignons le champ hydrothermal Lucky-Strike étudié depuis plus de 7 ans et surveillé toute l’année, en continu, grâce à l’observatoire sous-marin EMSO-Açores. A quoi ressemble cet observatoire ? Il consiste en deux stations de mesure (une station écologique et une station géophysique), constituées chacune d’un ensemble de capteurs et de moyens d’observations. Ces capteurs envoient depuis les abysses des données par ondes acoustiques à une bouée. Cette bouée les transmet à son tour à un satellite. Et les scientifiques, à terre, reçoivent enfin les informations. Autrement dit, ce qui est très bas doit passer par le très haut pour nous parvenir.
Il y a quelques semaines, la ligne de mouillage, longue d’1,7km, qui reliait la bouée aux stations en profondeur s’est mystérieusement rompue. La bouée est partie à la dérive. Elle se trouve maintenant à plus de 300 milles (600 km) de notre site. Voilà le premier défi de notre mission. Nous dévions notre route et prenons deux jours de retard pour aller récupérer cette bouée errante. Pas pour la remettre en place comme on pourrait le croire. Non cet été justement, les ingénieurs devaient la remplacer. La nouvelle bouée se trouve d’ailleurs ici, sur le pont du Pourquoi pas ?, flambant neuve, ses panneaux solaires encore abrités par des protections de contre-plaqué. Non, s’il faut absolument repêcher la bouée en perdition, c’est pour éviter sa collision avec un bateau. Ce qui pourrait avoir pour le navigateur malchanceux de tristes conséquences. Et l’on en profitera pour récupérer quelques composants, à réemployer dans de futures bouées. Enfin, en mettant la main dessus, on découvrira d’ici peu les raisons d’un telle anomalie : qu’est ce qui a bien pu rompre une attache si solide ? Mystère… bientôt levé ?
Quant à moi, retrouver le Pourquoi pas ? deux mois après notre premier transit me cause un plaisir immense. En embarquant j’ai réalisé la chance inouïe d’être là et de me sentir si bien d’être là. On peut tomber amoureux de la mer ou d’un bateau. Je le crois. Et c’est peut-être pour cela que c’est si violent, les histoires qui se passent sur l’Océan. Avec excitation je rejoins l’équipe biologie dirigée par notre chère Jozée Sarrazin. Toute la journée nous avons déballé le matériel de laboratoire nécessaire au tri, à l’identification et à la conservation de la faune que nous allons remonter des profondeurs. D’autres laboratoires se montent en parallèle ; c’est une petite université flottante qui s’édifie. Chacun vient avec ses questions, ses mystères non résolus. Ce monde est encore si méconnu que chaque mission découvre comme une terre inexplorée. Il flotte sur le bateau le parfum des grandes épopées. De celles qui promettaient des trésors, des royaumes, des merveilles.