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Une autre forme de contamination semble à présent sévir sur le Pourquoi pas ?.

Au fur et à mesure des remontées du ROV Victor, notre espace se modifie. Il se remplit. Il déborde. Il se brouille. Les abysses prennent possession du bord et des labos. Tout en porte la marque. Une odeur de soufre baigne désormais en continu nos narines. Sur les tables partout, gisent des sondes blessées, défigurées, calcinées par le fluide brûlant des cheminées. En laboratoire humide, nous pataugeons dans les bacs de prélèvements de la faune. Où qu’on tourne les yeux, on voit des vers marins, des moules, des pycnos (sorte de tarentules des mers), et autres crustacés aux formes bizarres, voire peu rassurantes, se tortiller vivants dans des coupelles, ou flotter morts dans du formol. L’étrangeté des profondeurs se niche partout, dans chaque recoin du bateau, et sa violence s’exhibe sur les instruments de mesure que l’on remonte. Peu à peu nous nous laissons gagner par l’environnement que nous croyions seulement observer. Créatures du dessus, créatures du dessous, nous fusionnons les unes avec les autres.

D’ailleurs, nous le disions hier : la vie à bord du Pourquoi pas ? nous fait perdre peu à peu toute notion du temps. L’alternance jour/nuit, les variations de luminosité, ne s’accordent plus avec notre activité quotidienne. Notre horloge biologique se dérégule. Ça fait un drôle d’effet, et tisse un nouveau lien ténu (cela vous aura peut-être traversé l’esprit) avec nos moules, et autres crevettes. Car celles-ci n’ont jamais vu de jour se lever. Leur territoire paraît ne se transformer sous l’effet d’aucune saison. Comment vivre avec un temps qui semble comme figé ? Après s’être affranchies des repas, nos créatures pourraient-elles se libérer des cycles biologiques, reléguant sommeil et périodes de fertilité au grenier des antiquités physiologiques ?

C’est là tout le travail d’Audrey Mat, chronobiologiste. Depuis longtemps, elle se pose la question du cycle et rythme internes des animaux de grandes profondeurs. Comment se règlent-ils ? Et sur quoi ? Forcément sur quelque chose. Malgré ses étrangetés, ces écosystèmes ne baignent pas dans l’éternité. Le vieillissement et la mort y frappent. Du moment qu’il y a temps, même s’il on ne le voit pas s’écouler comme on en a l’habitude, il y a nécessairement succession.

Et pour Audrey, c’est un moment historique, à marquer d’une pierre blanche dans sa carrière de chercheuse. Il s’agit de la première analyse chronobiologique de l’histoire à être tentée en milieu profond, et sur des moules.

Une occasion pour nous de décrire la vie d’un scientifique, en amont de ses expérimentations en mission. Il faut décider d’un protocole, étudier la technicité d’un prélèvement abyssal, réinventer son matériel, tester les méthodes.

Le temps de maturation est immense, le projet en question est né en juin 2015. Depuis février 2017, Audrey prépare sa manip. Celui de la préparation à bord est tout aussi exigeant. Notre scientifique a embarqué avec 86 litres de liquide de fixation, nécessaires pour conserver intactes les moules durant des mois (il faut que leurs tissus organiques soient fixés, au fond de l’eau, dès leur prélèvement, et ce pour éviter de se détériorer). Une centaine de moules doit être prélevée, lors d’une trentaine d’heures de manips dans l’obscurité du conteneur ROV. Puis elles sont remontées et disséquées pendant 10 heures (en chambre froide, à moins de 4°C). Pour être enfin réparties en plus de 400 tubes (7 heures) préalablement étiquetés (12 heures).

Ah, j’oubliais un défi de taille, et qui nous a fort divertis pendant les plongées de Victor : puisque la moule ne voit jamais la lumière, tester sa chronobiologie après l’avoir éclairée avec les phares du submersible risquerait de fausser tous les résultats. Que faire des projecteurs du ROV, nécessaires aux pilotes et donc, au prélèvement ? Une gélatine rouge, au préalable longuement testée, est fixée. Ambiance discothèque, ou Robocop selon ses goûts, dans le fond des mers… du jamais vu. Ça amuse mais ça complique la manœuvre.

Après 48 heures sans sommeil ou presque, mais aidée par toute l’équipe, Audrey a rempli ses tubes d’échantillons. Encore de longs mois à patienter pour obtenir le résultat de ses analyses. On saura alors enfin à quel rythme obéit la moule. Se cale-t-elle comme certains le croient, sur les marées (ainsi perceptibles à de telles profondeurs) ? Sur des fluides chimiques, sur un rythme tellurique ? Une mesure inédite ?

Enfin, cette moule possèderait-elle des gènes qui puissent, à l’avenir, nous permettre de mieux appréhender certains de nos propres dérèglements cycliques ? A suivre, dans un article qu’on lui souhaite de publier bien vite.

3 17 JUILLET

Crédit photo & iconographie: Victor 6000, Audrey Mat, David Wahl, Jozée Sarrazin

One comment on “17 juillet ~ a viz Gouere 2017

  1. Pire Elise dit :

    Audrey!!
    Courage pour ta manip, plein de chances et milles bisous!
    Merci à l’auteur de ces belles histoires!
    Elise

    J’aime

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