La nuit, sous l’eau, ça construit toujours. Durant mon quart, s’effectue une manip très attendue. On réinstalle la caméra Tempo et l’on teste sa liaison avec le navire ; car, oui, on attend de cette caméra, placée devant la moulière dont elle surveille l’évolution, qu’elle nous envoie un premier cliché grâce… à une borne wifi ! Dans le conteneur ROV, ce sont des soupirs d’admiration, voire d’émotion, lorsque Julien et Bertrand, avec un simple ordinateur portable, établissent la connexion. Les projecteurs de Tempo s’allument. Le premier snapshot est pris. Puis envoyé sur l’ordinateur. Tout cela, grâce à une sorte d’internet installé dans les profondeurs. Ca semble si simple qu’on en oublie la prouesse technologique. On ne capte pas si bien dans le métro parisien.
Je reste ébahi du degré de technologie mis en place pour explorer nos environnements marins profonds. Sans cela, tout demeurerait impossible. On l’oublie, mais ce n’est pas seulement le voyage qui permet à l’homme de découvrir, ses outils lui servent de clé pour ouvrir les distances. A chaque innovation technique s’étend son horizon. Il y a des dizaines de milliers d’années, c’est grâce à l’invention des premières barques que les ancêtres des aborigènes purent coloniser l’Australie. Territoire, s’il en est, où jamais homme n’avait posé les pieds, alors que ceux-ci existaient ailleurs depuis fort longtemps. Sans les inventions de la caravelle et de la navigation par vents et courants marins, baptisée la Volta, par Diniz Dias, en 1444, jamais Christophe Colomb, quelques décennies plus tard, n’aurait pu parvenir en Amérique. À la base de toute découverte, il y a toujours un outil.
Et pour aller faire un petit tour du côté des étoiles, rien de plus adapté à la conquête spatiale, selon Stephen Hawking, que… la nanotechnologie ! Il a même lancé un projet de nanosondes dotées de capteurs et de caméras, n’excédant pas le poids d’un gramme. Propulsées à des vitesse vertigineuses grâce à des voiles de 5 mètres carré gonflées par un laser envoyé depuis la Terre, ces nanosondes ultralégères mettraient seulement 40 ans, d’après lui, à faire l’aller retour Terre/Alpha du centaure. Une caravelle du futur profitant d’une volta cosmique !
D’ailleurs tant que nous sommes dans l’espace, il n’est pas inutile de rappeler que la technologie spatiale est tout d’abord testée dans nos profondeurs ; et que les appareils dont nous nous servons sous l’eau entretiennent une évidente parenté avec ceux qu’on envoie dans le ciel. Ces deux milieux ont toujours été bien mystérieusement reliés. Et si les premiers biologistes de l’océan profond étaient aussi des alpinistes chevronnés, il n’y a peut-être pas de hasard. Le très haut voisine avec le très bas. Comme le dit Pascal, qui veut faire l’ange risque de tâter au diable.
En laboratoire humide, avec Jozée, Marjolaine et Audrey, on continue à patauger dans nos bacs de prélèvement. On a remonté des profondeurs, la faune contenue à l’intérieur des quadrats posés l’année dernière. Dans l’espace que ces derniers délimitaient, des sulfures en très grandes quantités avaient été déversés. On mesure ainsi l’impact sur la faune qu’un déséquilibre humain pourrait causer. S’il est trop tôt pour se prononcer, il semble bien que la surdose ait entrainé de mortelles conséquences. Moins d’animaux, une biodiversité en berne… Des Lépétos, de minuscules patelles qu’affectionne particulièrement Marjolaine, il ne reste pas grand-chose, à peine leur périostracum, une couche fine qui protégeait jadis leur minuscule coquille. Voilà qui nous enseignera de quoi l’on doit protéger ces environnements.
Avec Thomas, Pascal et Jozée, nous faisons notre première réunion dramaturgique à bord. Le projet Donvor se concrétise, bercé par les vagues. Thomas nous donne quelques-unes de ses intuitions touchant à la forme. Mais nous garderons ça pour nous. Nous ne voudrions pas dévoiler les secrets d’un spectacle par lequel nous souhaiterions transporter le public en une immersion sensorielle assez singulière.
Crédit photo & iconographie: Victor 6000, Audrey Mat, David Wahl, Jozée Sarrazin