Dernier quart de nuit pour moi. Dans le conteneur ROV, je retrouve nos pilotes Yoann et Julien. L’oasis de corail est loin derrière nous ; l’exploration cède la place à une ultime manip : la photographie. Un appareil, OTUS, fixé sous le ventre de Victor, réalise un cliché du sol toutes les dix secondes. Lucky Strike prend la pose. Chacun de ces clichés est enregistré avec ses coordonnées géographiques. On obtient alors comme des tesselles de mosaïque qu’il faudra ensuite, à terre, assembler. Un travail de longue haleine. Pour l’instant, Victor glisse sur le plancher océanique. Tranquillement. On suit la ligne. Parfois un courant nous dévie. Qui nous ramène à un endroit que nous pensions avoir dépassé depuis longtemps. Mais dans l’ensemble, ça roule. On dirait une promenade de fin de journée, quand on veut profiter une dernière fois de la lumière du jour. Ça s’étire. On dort un peu. C’est la nuit en surface, c’est la nuit en dessous.
Une sorte de torpeur s’est emparée de la petite population du Pourquoi pas ?. Les labos sont vides. Tout le monde s’est replié dans la salle de traitement ou le PC science. Les visages se collent aux écrans. On rédige. Windows marche à fond.
14h, dernier point scientifique orchestré par Pierre-Marie. Il sonne la fin de la mission MoMarsat 2017. Elle renaîtra, dans sa version 2018, en juin de l’année prochaine. Le Roi est mort, vive le Roi. Tout le monde a le sourire aux lèvres. Soulagement d’un travail ardu bien accompli. Tout s’est vraiment bien passé. Pour l’heure, place à la mission BIOBAZ que va diriger François pendant nos dernières 48 heures en mer. Pierre-Marie lui laisse son pupitre. Ce soir, à 22h on lève l’ancre. On rallie le site féérique de Menez Gwen. On va à la pêche aux moules.
Sur le Pourquoi pas ?, sur les navires en général, l’humanité mute. Je suis heureux de l’avoir rencontrée, et plus encore de l’avoir rejointe. Le rythme est soutenu, le travail est dur. Aucun jour de repos. Le temps est trop précieux. L’équipage, les matelots, doivent composer avec la fatigue. Les semaines n’ont pas de dimanche. On récupère aux jours d’escale, et encore. On reste étonné de l’endurance des marins. Malgré l’épuisement, leur précision et leur attention semblent ne jamais faiblir. Et pourtant sur un bateau, le danger est tapi partout. En embuscade. Un accident peut arriver n’importe quand. Nous vivons sur un chantier permanent. Bâti, qui plus est, sur un « sol » liquide, instable et capricieux.
Ici le travail nous rend vraiment frères, et vraiment hommes. Chacun est en charge d’une mission. Il a un but. La question du sens de sa vie ne se pose pas. Ni celle de son utilité. À bord tout ça saute aux yeux. Personne n’est remplaçable. Sur l’eau, on n’a pas les moyens de gaspiller l’humain.
Je crains l’arrêt du roulis. J’ai peur de retrouver la stabilité d’un sol ferme. Comme beaucoup d’autres ici, je suis sujet au mal de terre. Il faut avoir vécu sur un bateau, pour se rendre compte de l’environnement dans lequel on finit par se fondre. Pas de silence, pas d’immobilité, pas d’ailleurs. Une fatigue que l’on nourrit chaque jour et qu’on laisse nous posséder. Et pourtant, malgré cela, je n’ai pas vraiment envie de retrouver la terre. Une chose me manque à la rigueur : le végétal, le vert. Oui quand je rentrerai chez moi, peut-être que la première chose que je ferai, c’est d’aller acheter un bouquet de fleurs. Les plaines bleues et mouvantes qui nous entourent donnent avec parcimonie. Ce qui s’y montre se reçoit comme un cadeau rare et précieux. Quand même, à l’approche d’Horta, j’aimerais bien voir, comme Audrey le demande chaque jour, « un cachalot qui danse » !
Du coup, avec le ralentissement du rythme, le temps d’autre chose peut advenir. Hier soir, on a eu droit à une séance cinéma. François a projeté un très beau documentaire tourné en 2013 sur le Pourquoi pas ?, Les Alliances des profondeurs. Et ce soir nous avons transformé le salon de l’équipage pour y donner une lecture de ma causerie sur l’Océan et les manchots, La Visite curieuse et secrète. Émouvant ça, devant les équipes bercées par le roulis. Un air de croisière ? Pas encore, demain à l’aube sur le site de Menez Gwen, ultime plongée de Victor…
Crédit photo & iconographie: Victor 6000, Audrey Mat, David Wahl, Jozée Sarrazin, Thomas Cloarec et Jérôme Blandin.
Impressionnant ! Je comprends votre ressenti sur ce que vous allez quitter….!
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