Enfin, j’ai posé le pied sur le Nouveau Monde. 525 ans grosso modo après Christophe Colomb. Thomas a été plus rapide que moi. Il m’a précédé d’une journée. Et m’attend à l’aéroport de Victoria, en Colombie britannique, sur les rives de l’Océan Pacifique, dans une Chrysler blanche aux dimensions très américaines.
Cette troisième campagne scientifique, vous l’aurez déjà saisi, s’annonce très différente de celle que nous avons vécue cet été à bord duPourquoi pas ?. On est toujours près d’un Océan, mais l’on se tient sagement sur ses bords. Loin du roulis, nos bureaux sont ici abrités dans un grand complexe scientifique, Ocean Network Canada. Nous tournons désormais le dos à l’Atlantique. Les Açores sont à des milliers de kilomètres.
Pourquoi venir ici ? Eh bien, au large de l’Île de Vancouver passe une autre dorsale, dite dorsale Juan de Fuca, cousine de celle que nous avons étudiée dans l’Atlantique. Celle-ci abrite plusieurs sites hydrothermaux de grande activité. Un immense réseau câblé, Neptune, y a été installé et fait remonter à la surface quantité de mesures sur lesquelles travaillent nos deux scientifiques, Jozée Sarrazin et Pierre-Marie Sarradin. Cette installation « pacifique » peut ainsi s’entrevoir comme le pendant de notre station d’observation « atlantique » de Lucky Strike, objet de notre mission estivale à bord du Pourquoi pas ?.
C’est donc à une découverte des sources hydrothermales pacifiques et de leurs écosystèmes que nous sommes invités, différents en bien des manières, nous le verrons, de ceux avec lesquels nous nous sommes familiarisés le mois dernier.
Certes, pour cette fois nous restons à terre. Mais ce voyage promet d’être, à sa manière, tout aussi surprenant.
Car là aussi, tout tend à nous déconcerter, à nous décentrer. Rendez vous compte : pour parvenir jusqu’aux confins occidentaux du Canada, l’on s’embarque pour un voyage de 18 heures assorti d’un décalage horaire de 9 heures. C’est moins long qu’au temps des caravelles, mais il se passe pour soi une chose bien extraordinaire. L’avion suivant la course de l’astre du jour, on voyage sous un soleil qui n’en finit pas de se lever. Et la journée, commencée au petit matin sous un premier fuseau horaire, transperçant tous les autres, s’étire en une durée fantastique. Levé un lundi 4 septembre à 5 heures du matin, je me suis couché à l’autre bout du monde 26 heures plus tard, au soir de de ce toujours même lundi ! J’ai volé du temps. Et l’impression d’avoir gagné un peu de vie.
En nous dirigeant vers Vancouver néanmoins, où Thomas m’emmène dès mon arrivée, on ne peut pas dire qu’on voit briller le soleil. Celui-ci est comme voilé. On discerne bien une boule rouge. Mais enfin on a l’impression que l’astre se meure. On sent une chose qui n’est pas habituelle. Une brume poisseuse et moite enserre les vastes forêts de sapins. Les gratte-ciels de Vancouver devraient nous percer les yeux, on ne fait que les deviner. Ils sont, eux aussi, comme étouffés par le fog. L’air est chaud. La gorge pique. Ce brouillard, c’est une immense nappe de fumée. En Colombie britannique, mais aussi dans l’Etat voisin de Washington, aux Etats-Unis, de gigantesques incendies consument des millions et des millions d’arbres depuis maintenant près de deux mois. Incendies les plus destructeurs que cette région aie jamais connus. Transportées par les vents, les émanations carbonées, épaisses et denses, qui naissent de l’immense brasier, coupent le chemin à la lumière et donnent à la terre des nuances d’apocalypse nucléaire.
Demain, après une nuit qui n’en finit pas de se faire attendre, nous commencerons l’exploration des terres nouvelles.