Victoria est la capitale de la Colombie britannique. C’est une ville très british. En tout cas c’est ce qu’on dit d’elle. Les immeubles sont bas, coquets, fraîchement repeints. Les trottoirs larges et fleuris. Et des groupes de gospel mettent une sacrée ambiance aux carrefours. Les habitants ont la banane. On a même poussé la joie de vivre jusqu’à enguirlander d’ampoules les monuments les plus insignes. C’est Noël en septembre. Et c’est d’une propreté remarquable. Il est bon d’y flâner. On y voit des choses dont on se souviendra toujours. Notamment une invention dont je n’aurais jamais soupçonné l’existence, et que par ignorance du nom officiel je dois bien me résoudre à appeler : le pédalo à bière. Il s’agit d’un véhicule de la taille d’une petite camionnette, pourvu d’une sorte de table de ferme courant sur toute sa longueur. Des tabourets sont fixés de part et d’autres, aux pieds desquels on distingue un petit pédalier. Une serveuse un peu bavaroise dépose sur la table des pintes de bière. C’est le signal envoyé à des hommes et des femmes tout en jovialité à venir prendre place. Le mécanisme est simple : on picole, on pédale, on avance. Un pilote, employé, solitaire à l’avant du camion, dirige le véhicule. Les passants prennent des photos. Les buveurs rient. Au début du moins, je n’ai pas vu leur tête au bout du premier kilomètre. Aucun danger pour personne : le conducteur, lui, est sans verre, seuls ceux qui fournissent l’énergie trinquent. Si le taux d’alcoolémie devient trop élevé, je suppose que le camion s’arrête. À Victoria, boire ou conduire, faut plus choisir.
Les hommes ne sont pas les seuls en ce monde à adopter des comportements déconcertants. Ce matin, Xavier Mouy, un acousticien venu au workshop, m’apprend que les poissons communiquent… par sons. Je l’ignorais complètement. Et ne suis pas loin de penser que vous aussi. Le chant des baleines, on connaît, on a même récemment reconnu un langage aux dauphins, mais que des sardines papotent, ça… !
Et pourtant, en actionnant les muscles de leur vessie natatoire — l’organe qui leur permet de flotter entre deux eaux — les poissons émettent des signaux pour se retrouver, se diriger, voire même se choisir un conjoint. Chaque espèce émet un son propre. À sa manière. Le hareng par exemple, n’utilise pas les muscles de sa vessie comme la plupart des autres poissons, il y fait entrer de l’air qu’il expulse ensuite. En gros, il pète. Et s’il pète, c’est pour séduire sa future épouse. Ce qui est encore moins glamour qu’un pédalo à bière.
Xavier s’est lancé dans une œuvre monumentale. En collectant les sons propre à chaque poisson, il est en train de réaliser le tout premier glossaire de la faune sous-marine. Leur carte d’identité sonore.
Bercés par Cousteau et son Monde du silence, on était complètement passé à côté : l’océan bruisse de mille sons. Bien plus encore qu’à la surface. Tout s’y propage plus rapidement. Et en continu.
D’où l’immense problème de la pollution sonore. On dit même que, perturbés par nos moteurs, les poissons n’arrivent plus à repérer les femelles fertiles. Ils s’accouplent plus pauvrement, ajoutant au dégât de la surpêche, une cause à leur tragique affaiblissement numérique. En bon voisin ça serait sympa de baisser la musique. Et de chercher de nouveaux moyens de navigation, à défaut de repasser à la voile.
Le workshop avance toujours. Demain c’est la restitution. Déjà. Le temps passe vite en bonne compagnie.