En fin d’après midi le Teatr Piba a présenté le workshop mené ces 4 derniers jours.
Les étudiants, les scientifiques, les membres de la compagnie, ont travaillé ensemble, écrit chacun leurs textes, les ont défendu. Et bien. La dernière journée, menée au pas de charge, accouche d’une petite représentation devant le public. Le stress est palpable. Cela s’est fait si vite. Tous ont bien lâché prise. Pour la plupart, c’est une première. Ils ont accepté de se laisser emmener sans savoir vraiment où. Et maintenant nous touchons au port. Emouvant. Très. Après nous avoir tant appris, les scientifiques, Jozée et Kim en tête, se mettent à l’école du théâtre. Thomas les dirige, les accompagne. Tous osent beaucoup. Les yeux piquent.
Après la représentation, rencontre avec le public. On échange. Les étudiants, les professeurs, Sara en tête, confessent qu’ils sont sortis de leur zone de confort. Ils se sont surpris. On salue leur audace. Ils ont écrit sur un sujet scientifique dont, pour certains, ils ignoraient tout, et dans une langue qui n’est pas forcément la leur. On garde contact. Si l’on revient jouer à Victoria, on sera heureux de se retrouver.
Pour nous c’est la fin. Pas seulement du voyage au Canada. Mais de cette première et passionnante phase du projet Donvor. De ces trois résidences. Les deux premières à bord du navire océanographique d’Ifremer, le Pourquoi pas ? : le transit en mai et la mission scientifique du mois de juillet ; enfin celle-ci, plus terrestre, en Colombie britannique. Nous avons pris le temps — et ça c’est une chose suffisamment rare pour être dite— , et nous avons eu le temps, d’une véritable et très féconde rencontre. Scientifiques/artistes de théâtre. Pas seulement pour échanger des connaissances. Ni voir ce que l’on pourrait tirer en peu de temps les uns des autres. Ni enfin inventer une méthodologie visant d’un côté à la vulgarisation du savoir et de l’autre à la théâtralisation d’une science dure. Ce n’est pas ici notre désir. Nous avons vécu ensemble. Une vraie immersion. Jozée s’est retrouvée sur une scène et moi devant son bac de dissection. Nous nous sommes laissés patiner. Et c’est cette expédition que nous voulons raconter. Une exploration. Chacun sur la même marche. En fait, plus encore qu’une exploration, c’est un émerveillement qu’il nous faut partager. Parce que vraiment là, le processus théâtral aura été comme jamais le prétexte à une aventure hors du commun. Un voyage. Un vrai. On a changé de continent, on est passé de l’élément terrestre à l’élément liquide. On s’est senti Phileas Fogg, plus encore que Capitaine Nemo.
Quoique… tout ce que nous avons traversé, de l’Atlantique au Canada, nous a semblé beaucoup plus cohérent qu’on ne pourrait l’imaginer. Ces « environnements profonds » concernent bien sûr les abîmes océaniques. Mais puisqu’ils dessinent et nous parlent d’une limite, il serait dommage de ne pas voir en quoi ils invitent à une réflexion plus vaste. Après tout, les forêts primaires de Colombie britannique, que nous avons arpentées, aux confins de la civilisation occidentale, ne sont-elles pas dites, elles aussi, « forêts profondes » ? Profond ce n’est pas qu’en bas, c’est là-bas. Tous les endroits lointains sont profonds. Tout ce qui nous interroge, ébranle nos certitudes, est aussi un lieu profond. Notre ignorance, notre fragilité sont des environnements profonds. Profond, c’est une frontière. Enfin… ça peut-être tout, prendre n’importe quelle forme, du moment que ça reste inaccessible à la clarté sèche du connu. Etrangement, le profond, c’est ce que la science ne pourra jamais saisir. Elle fera bouger la limite mais le profond restera pour jamais impénétrable. Au risque de disparaître. De n’être plus profond. Ce n’est pas un hasard, ça non, que nous ayons durant tous ces mois été transpercés par des questions étirant à l’infini l’objet de notre étude, jusqu’à lui donner des dimensions colossales. L’océan, l’espace, l’origine de la vie, l’avenir de l’humanité, la technologie… Comme si ces écosystèmes marins étaient le lieu du mélange des temps et des mondes.
C’est de cela que se nourrira le spectacle, qui va maintenant s’élaborer, au fur et à mesure des répétitions.
Un dernier petit mot avant de se quitter. La Colombie britannique m’a beaucoup marqué. Je crois que mes camarades le pourraient en dire aussi. Que le degré de technologie et de confort ne nous trompe pas. C’est un pays en naissance. Les villes de l’ouest ont à peine un siècle. La vie moderne s’est développée au milieu d’une nature qu’en Europe nous n’avons plus depuis des millénaires. Ça crée, en arrière plan des buildings, comme une anomalie visuelle. Ces forêts primaires de conifères géants bordaient jadis la Méditerranée. Mais les Grecs et les Romains déjà ne les avaient jamais connu. L’espace est immense. Et vierge. On le sent à chaque seconde. Tous les jours ici, j’ai pensé au réchauffement climatique. On dit que les terres voisines du pôle deviendront un jour le centre de gravité du monde habité. Le point de départ d’une humanité nouvelle. Beaucoup de gens ont refait leur vie au Canada. Etonnement un grand nombre de ceux que nous avons rencontrés sont nés en France ou ont un parent français. Ce sont des « fondateurs ». Oui, quelque chose est vraiment en train de naître. Là on peut recommencer. On peut faire autrement. La nature est très ancienne, la société très jeune. Dans la gestation d’un pays qui sera sans aucun doute un très grand pays du futur, on devine aussi des souffrances bien difficiles à soulager. Les First Nations, les Amérindiens, dépossédés par les premiers colons des territoires qu’ils occupaient depuis des siècles, portent les blessures d’un désastreux échec humain. Comment, sur un territoire aussi grand, n’avoir pas réussi à partager et à vivre ensemble ? Beaucoup de gestes sont posés en direction d’une réconciliation. Cela va prendre du temps. Mais ça vaut la peine. Ultime écho à notre traversée : les environnements marins profonds défient notre capacité à vivre autrement notre rapport à la terre ; au Canada, on sent chez beaucoup le désir d’une façon différente d’être aux hommes. C’est sans doute ça, l’universalité de la limite. La fécondité du profond.
beau blog. un plaisir de venir flâner sur vos pages. une belle découverte et un enchantement. un blog très intéressant et enrichissant. J’aime beaucoup. je reviendrai. N’hésitez pas à visiter mon blog. au plaisir
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…mélange des temps et des mondes. Merci, le blog est un régal!
A la suite en Février 2018.
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Ce fut une aventure merveilleuse. Le blog est génial
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